Art
Bozar envahi par l’art par tous
Claude Lorent
250 réalisations artistiques d’amateurs et de professionnels sont exposées au palais des Beaux-Arts. Une sélection sévère réunie dans un souci de démocratisation et de médiatisation.
Nous voilà pleinement revenus aux belles utopies de la fin des années soixante lorsque dans l’euphorie générale des bouleversements annoncés, on proclamait non sans une bonne dose de naïveté que l’art pour tous et par tous serait enfin une réalité, puisqu’il était interdit d’interdire et que chacun avait son mot à dire et son œuvre à accomplir. Et l’on peut même s’en référer, ce n’est pas mince, à Joseph Beuys pour qui tout le monde est artiste à sa manière!
La machine populaire a été lancée par Canvas pour la Flandre exclusivement et cela avait donné, au palais des Beaux-Arts de Bruxelles, déjà, une assez médiocre exposition, visitée par contre par un nombreux public qui fréquentait souvent l’institution pour la première fois! Sur ce constat, Paul Dujardin, le directeur général, a lancé l’idée de mener l’opération au niveau national. La mise en route fut un peu lente, mais finalement, la RTBF et la ministre de la Culture de la Communauté française Wallonie-Bruxelles, Fadila Laanan, emboîtaient le pas pour lancer l’expérience d’une collaboration et d’une manifestation inédites. On ouvrait même très généreusement les cordons d’une bourse que l’on sait pourtant fort plate pour allouer une subvention confortable (voir encadré), sans compter la monopolisation médiatique de la RTBF. Du côté flamand, les budgets étaient déjà acquis sans pour autant être équivalents. Ce débours est clairement un choix de politique culturelle tant du ministère que de la RTBF qui généralement fait très peu de cas de l’actualité artistique à un niveau intéressant et à des heures d’écoute convenables. L’option populiste et médiatique a le mérite d’être transparente, ce que, bien sûr, les plasticiens aguerris ne manqueront pas d’apprécier.
De quoi s’agissait-il? Rien moins que la démonstration de la démocratisation de l’art! Tous les artistes plasticiens, amateurs et professionnels, furent conviés à présenter trois œuvres à un jury qui décidait immédiatement de l’acceptation ou du refus au premier stade. Le but final était d’exposer collectivement environ 300 œuvres dans les salles du prestigieux palais des Beaux-Arts. Après un premier tri, d’autres jurés "nationaux" intervenaient pour affiner les choix! Au total, plus de 24 000 œuvres de plus de 8 000 plasticiens de Belgique furent passées au crible! Un travail gigantesque qui monopolisa nombre de volontaires et un incroyable panel de professionnels issus des musées, centres d’art, du milieu de la critique, des galeries Résultat: 250 œuvres retenues, soit environ 1 %. "Tout ça pour ça", comme le soulignait discrètement un membre juré.
Il fallait être doux rêveur pour imaginer que les artistes professionnels allaient se lancer en masse dans la course; l’enjeu n’en valait pas le déplacement, même si l’on tenait compte des prix attribués au final. Seuls quelques-uns se risquèrent donc dans l’aventure et il faut bien dire qu’ils sont facilement repérables dans l’exposition. Par contre, pour les amateurs, c’était là une chance inouïe de pouvoir accéder un jour aux cimaises du plus important centre culturel du pays et dès lors d’inscrire la plus que précieuse référence en son curriculum vitae et (re) dorer ainsi son blason. Par contre, au niveau de la confrontation avec les pros, l’objectif est quelque peu manqué et on peut se demander, comme le faisait remarquer le directeur d’une institution muséale, si ces derniers ne se trouvent pas amoindris dans cette ambiance générale d’amateurisme.
Heureusement, cette manifestation, par rapport à la précédente, a quelque peu haussé le ton, mais sans pour autant atteindre à un niveau de qualité habituellement exigé par le palais des Beaux-Arts et les autres institutions muséales qui ont participé à l’organisation. S’il est évident que chacun, dans le domaine de l’art, peut se consacrer à un hobby ou vivre une passion, il est tout autre chose de s’engager pleinement et professionnellement dans une démarche artistique. Et la ligne de démarcation est nette. Pourtant, et c’est un pro qui l’a dit puisque c’est Andy Warhol lui-même qui l’a proclamé, chacun a droit son quart d’heure de gloire. Le voilà donc, il est là, en cette sélection. Mais attention à la suite, rien n’est jamais définitivement gagné. Le plus difficile sera de confirmer sur la durée.
Par contre, elle n’est pas là pour quelques autres puisque "certains professionnels ont été écartés par le jury", intervient Caroline Mierop, directrice de La Cambre, qui ajoute qu’elle a trouvé "dans l’ensemble des œuvres proposées au jury national, pratiquement les mêmes caractéristiques que celles de la plupart des étudiants lorsqu’ils se présentent au début des cours". Ils produisent des œuvres qui sont souvent le résultat de leurs connaissances artistiques alors que l’enjeu est de se forger sa propre personnalité. Et il est un fait qu’en cette exposition, on rencontre énormément de réalisations parfois bien exécutées mais qui sont des sous-produits très proches de modèles ultra connus. L’art n’est effectivement pas un savoir-faire; celui-ci n’est intéressant que lorsqu’il existe pour être dépassé!
A remarquer que la photographie occupe une place prépondérante dans des styles dans l’air du temps: saturation lumineuse, larges panorama, portraits un peu déceptifs et qu’elle est généralement bien maîtrisée techniquement, ce que permet actuellement une bonne connaissance du matériel. Quelques interventions aux frontières entre art, sciences, technique, révèlent des passions personnelles inventives et bien menées; quant à la peinture elle apparaît comme le parent le plus pauvre. Sans doute aussi parce qu’il est le plus exigeant et celui avec lequel il est impossible de tricher!
De l’avis de nombreux organisateurs et membres des jurys, l’expérience fut plus enrichissante humainement qu’artistiquement, la question de la qualité restant en suspens. "Il est très intéressant, dit Laurent Busine, directeur du Mac’s du Grand-Hornu, d’entendre les artistes expliquer leurs œuvres à travers leur propre histoire, ce qu’ils ont à dire est très touchant. De plus, et même si les déceptions sont très fréquentes, il est exceptionnel qu’ils aient l’occasion de proposer leur travail à des professionnels qui vont pour la première fois livrer leur appréciation."
http://www.lalibre.be/culture/arts-visuels/article/581083/bozar-envahi-par-l-art-par-tous.html